« Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? On a parlé pendant une heure, et j’ai toujours pas de réponse ! » La psychothérapie face à l’attente du savoir immédiat
Fin de séance. Un patient, jeune et spontané me regarde et dit, sans détour, comme on énonce une évidence :
« Ouais, d’accord, on a parlé pendant une heure, mais j’ai toujours pas de réponse à mes questions ! »
Aucune provocation, aucune colère. Juste un constat brut, une interrogation légitime :
Si on parle et qu’au bout d’une heure je n’ai pas de réponse, alors à quoi ça sert ?
Puis, il attrape son manteau et ajoute, mi-sceptique, mi-curieux :
« Bon, ben on verra dans 3-4 séances si j’ai des réponses, quoi. »
Et tout est là.
Car dans cette phrase, quelque chose a déjà bougé.
Il ne le formule pas encore ainsi, mais il pose lui-même le cadre du travail qui commence. Il s’accorde du temps, il se laisse une marge, un espace où quelque chose pourrait advenir.
Peut-être qu’il ne le réalise pas encore, mais il n’est déjà plus tout à fait celui qui est entré dans la pièce une heure plus tôt.
Cette attente d’une réponse rapide n’est pas anodine.
Elle résonne avec une injonction contemporaine : celle d’un savoir instantané, accessible en quelques clics, sans effort, sans traversée.
Parce que dans un monde où tout va vite : où les notifications nous livrent des explications instantanées, où Google répond à nos angoisses existentielles en 0,42 secondes, supporter une question sans réponse est devenu une épreuve.
Mais en psychothérapie d’inspiration analytique, c’est tout l’inverse.
Il ne s’agit pas de livrer un savoir prêt-à-penser, mais de créer un mouvement, d’accepter le doute et l’incertitude pour permettre à quelque chose d’émerger.
Freud l’écrivait déjà dans L’Interprétation des rêves :
« Le rêve ne pense ni ne juge ; il se contente de transformer. »
Et c’est bien là l’enjeu.
Ce n’est pas la réponse qui soigne, c’est le chemin pour l’atteindre.
Et pourtant, en entendant les interrogations de ce patient, un doute me traverse.
Même en étant guidé par une éthique solide, même en sachant que le travail se joue ailleurs, la question surgit :
Ai-je été utile ? Est-ce que j’aurais dû dire autre chose ?
Car il est tentant de livrer une interprétation brillante, d’offrir une explication rassurante.
Parce que nous aussi, en tant que psychothérapeutes, nous sommes traversés par ce désir de combler le vide, d’apaiser l’autre.
Mais ce serait court-circuiter un processus plus vaste.
L’essentiel ne réside pas dans ce qui est donné, mais dans ce qui est construit.
Alors je tiens.
Je laisse la question ouverte, aussi inconfortable soit-elle, car donner une réponse, c’est priver le patient de la sienne.
Une réponse donnée c’est une réponse volée.
Lacan le disait : « Le psychanalyste autorise le sujet à prendre la parole, mais il ne lui dicte pas ce qu’il doit dire. »
Et tandis que ce patient quitte la pièce, quelque chose me dit que sa dernière phrase contenait déjà un début de réponse.